Short Wave Listeners

Un article à l'ancienne sur un sujet que me tient à coeur : les Short Wave Listeners, ou SWL. Plus qu'une passion : un mode de vie véhiculant des valeurs qui font terriblement défaut aujourd'hui. Décryptage et analyse sociologique du phénomène de niche.

A la base ce sont des gens qui sont curieux de savoir ce que les ondes ont à offrir. La radio ça va de 88 à 107 en gros, mais en fait, personne ne sait bien à quoi ça correspond, pourquoi c'est de 88 à 107, et... Y'a quoi avant ? Quoi après ? Pourquoi ça reste dans cette fourchette d'ondes ? Jusqu'à quelle distance peut-on recevoir une fréquence radio ?

J'ai commencé à m'y intéresser quand je cherchais des sites sur les stations nombres, un des trucs les plus flippants de l'histoire de l'humanité. J'ai voulu capter ces stations et notamment UVB-76 qui n'est pas vraiment une station nombre mais un truc mythique dans le monde des émissions radios mondiales. Et j'ai été surpris d'apprendre qu'on peu écouter une source radio russe en France alors que déjà on galère à garder la fréquence d'une radio plus de 10 minutes sur l'autoroute parce qu'on perd le signal radio, puis on le retrouve, etc.

En creusant, je tombe donc sur cette pratique. 13000 personnes en France encore aujourd'hui occupent la plupart de leur soirée à mettre un casque et à balayer les fréquences courtes.

On peut tomber sur des radios internationales mais plus probablement sur des conversations entre bateaux pour donner leur emplacement, ou des talkie walkie de grutier si un chantier se trouve dans les environs.

Les amateurs de radio ont développé des pratiques dans les années 1900 qui sont encore usitées aujourd'hui comme le fait de s'envoyer des cartes postales pour prouver qu'on est arrivé à établir une communication avec un autre continent ou une institution. On appelle ça les QSL.

Je vous laisse rêver sur ce site internet qui est un pur produit des années 2000 : https://lesnouvellesdx.fr/index.php

Pourquoi j'aime bien cet univers

D'abord il y a un côté DIY : chaque SWL se fait une petite station d'écoute (qu'il appelle Shack) et bidouille son propre matériel pour écouter ce qu'il se passe sur les ondes. Généralement il fait lui-même son site internet où il est trop fier d'exposer toutes ses QSL qui sont autant de trophées qui prouvent qu'il a de l'expérience en radiophonie. Plusieurs valeurs se croisent : il y a la curiosité, le besoin de savoir et de connaissances sur les lois physique et le monde à travers la perception de l'ouïe,

Il y a le frisson de l'inconnu quand on écoute une fréquence où une diffusion absurde met en scène plusieurs personnages qui ont l'air de sérieusement se gueuler dessus dans une langue slave. Il y a un aspect découverte totale et Aventure avec un grand A sonore.

Il y a le véritable anonymat.

Il y a la véritable absence de censure.

Ces deux dernières valeurs sont violées des milliers de fois par jour par le numérique et ses usages. Dans le monde analogique, tout s'efface comme une fine couche de glace aux lueurs du matin. Il est toujours possible d'enregistrer une conversation mais ce ne sera toujours que le reflet de l'essentiel : la communication libre.

Il y a la poésie des humains qui cherchent à établir des communications avant de mourir, surtout des personnes âgées qui savent pas trop quoi foutre on va pas se mentir.

Il y a un côté old school indéniable qui flirte énormément avec le survivalisme. La communauté des radioamateurs utilise aussi internet comme moyen de communication parce que c'est pratique, mais beaucoup attendent sans l'avouer une panne mondiale des plus gros datacenters pour légitimer leur pratiques de l'ombre et passer pour des gens qui ont tout compris à l'avenir en s'aidant essentiellement du passé. Un fantasme largement partagé par la communauté.

Il y a la conscience qu'en cas de guerre mondiale, internet est un immense réseau de câbles qui ne demandent qu'à être sectionnés ou corrompus par des manipulations informatiques permises par le numérique, contrairement aux ondes radios libres comme l'air, lol. Le radioamateur peut se sentir investi d'une mission de communication en temps de guerre et peut parfaitement relayer des informations, confirmer des points, établir des correspondances et aider sa patrie.

Il y a une communauté constituée de radioclubs (trouvez celui de votre région ici : https://www.r-e-f.org/index.php?Itemid=329) où l'on peut fabriquer sa propre station, perfectionner une antenne, demander des conseils pour passer la licence de radiomateur afin d'obtenir votre propre indicatif 'et vous aussi pouvoir envoyer des cartes postales si on vous demande de prouver qu'on est arrivé à vous joindre, la poste ne les fait jamais payer et elles arrivent à destination au bout d'un certain temps) et c'est une passion qui se partage d'autant plus facilement qu'il s'agit de partage du partage.

Il y a qu'aucune discrimination ne peut être faite sur la base d'un échange radio.

Il y a une quantité de connaissances à avoir pour passer sa licence de radioamateur avec une partie réglementaire et une partie technique où il faut avoir de solides bases en maths et en physique. Il ne faut pas un bac S, c'est mieux d'être débrouillard, mais l'accumulation de connaissances est en soi une pratique qui nous élève.

Il y a des challenges à relever constamment, comme par exemple arriver à bidouiller sa station radio pour pratiquer l'SSTV qui est un mode de télévision à balayage lent, permettant avec les ondes radio de retransmettre une image. La station ISS envoie régulièrement des photos avec ce procédé pour la communauté radioamateur qui doit alors se déplacer à certains moment précis de la journée pour arriver à bien capter l'image.

Il y a cette déception de ce qu'est devenu internet avec notamment les réseaux sociaux qui sont aussi omniprésents qu'inutiles et toxiques. la centralisation des contenus correspond à un moule idéologique capitaliste. Si on décide de mettre toutes ses photos sur instagram, notre chat, nos amis et les nudes échangés en message privés sont stockés sur les mêmes serveurs que des centaines de milliers d'autres chats, amis et nudes du monde entier. On peut avancer que le serveur "capitalise" au sens augmente son capital en contenus, à destination de tout le monde, mais ce n'est jamais stocké qu'à un endroit et/ou détenu par une entreprise. Cette simple constatation cristallise un des plus gros problèmes de notre société après la crise climatique : le passage d'une économie de demande à une économie d'offre. Tous ces rayons de supermarché plein à craquer de viandes et autres produits qui vont être achetés... Ou non ! C'est la supriiiiiise, on ne sait pas à quel besoin on répond précisément mais ce qui est sûr c'est qu'on va en tuer des animaux, et on va en produire du shampooing, dans de très grandes quantités qui nous permettront de faire des économies d'échelle pour compenser tout ce qu'on va devoir jeter à cause de l'inadéquation de l'offre et de la demande. Donc on n'arrête surtout pas de produire des biens et des emplois pour OFFRIR des choses. Tout est axé sur l'offre, la demande quant à elle est subsidiaire. Il y a un lien entre l'internet aujourd'hui, le capitalisme, la centralisation des données et la fourniture infinie de services qui se fait au détriment des ressources de la planète. Le monde de la radio-amateur va à contre-sens de cette logique : tout commence par une demande de communication, on appuie sur le bouton, on demande si on m'entend, on ajuste la fréquence, on réappuie sur le bouton... Allo vous m'entendez ? Can you hear me Major Tom ? Can you hear me Major Tom ? Can you hear me Major Tom ? Et, éventuellement, quelqu'un nous répond. L'offre est allée dans la direction de la demande initiale, chemin inverse. C'est un renversement de valeurs et l'adoption d'une attitude générale, un peu comme sur monpremiersiteinternet 😉

Il y a ce sentiment de participer à quelque chose de sain. Sans même parler de guerre ou de fin d'internet : après un ouragan / séisme / éboulement / insérez ici un risque naturel qui suppose que des êtres humains sont piégés : les installations d'antennes relais, le matériel et le savoir-faire des radioamateurs est toujours sollicité par les secours. En cas de coupure électrique, tout peut fonctionner pendant des jours avec des batteries de voiture et des mois avec des panneaux solaires. Quelques milliers de radioamateurs sont regroupés pour former la Fédération Nationale des Radio-Amateurs au service de la Sécurité Civile (FNRASEC) qui est mobilisé en cas de crise.

Si vous voulez passer l'examen de radioamateur : https://www.anfr.fr/gerer/radioamateurs/les-certificats

Alé salu